jeudi 19 mai 2011

La loi en Chine: universelle ou contextuelle?

Un article du China Daily illustre parfaitement les questions essentielles que pose le passage en Chine d'un 人治 "gouvernement par les hommes" (c'est à dire arbitraire) à un 法治 "gouvernement par la loi" (impersonnelle et donc "inhumaine").

Il concerne un appel à la clémence lancé par la Cour suprême populaire aux tribunaux chinois en ce qui concerne l'application d'une nouvelle loi qui fait de la conduite en état d'ivresse une infraction depuis le 1er mai:

"les peines de prison ne doivent pas être systématiques dans la mesure où le fléau est très répandu en Chine".

Où l'on voit bien que la culture juridique chinoise ne se fonde pas, comme chez nous, sur des principes intangibles, mais sur la prise en compte souple du contexte (avec les dérives possibles).

Il est vrai que la loi chinoise est extrêmement dure (1 à 6 mois de prison plus une amende) mais ce serait pour dissuader les gens de conduire après avoir bu. On retrouve ici la doctrine légiste antique: la loi doit faire PEUR pour être efficace.

Pour justifier sa position, la Cour en appelle à l'article 13 du Code pénale chinois qui stipule que "une infraction peu nuisible à la société ne peut être considérée comme un crime".

Ne retrouve-t-on pas là cette particularité du droit chinois: il ne sanctionne pas tant l'acte en lui-même que ses conséquences sociales (ou politiques)?

Cependant cette déclaration de la plus haute instance judiciaire plonge les juges et avocats dans l'embarras. Dans quel cas y-a-t-il crime ou pas?

C'est bien là le manque cruel de JURISPRUDENCE en Chine se révèle.

Aussi la Cour supême préparerait-elle un guide donnant des exemples, et a décidé que les accusés n'ayant pas causé de dégâts pourraient être libérés sous caution en attendant leur jugement.

Ce à quoi des "critiques" (avocats) ont répondu que puisque la nouvelle loi qualifie la conduite en état d'ivresse de "crime", alors il faut l'appliquer à la lettre...

Ce "débat", si on peut utiliser ce terme en parlant de la presse chinoise (et aussi le fait qu'elle en parle), illustre ce qui se joue aujourd'hui en Chine sur la question du Droit: est-il universel ou non? Interprétable ou pas?

L'enjeu est fondamental et a de multiples implications y compris dans le business, et en particulier pour les entreprises étrangères.

Un jour peut-être ne seront-elles plus les seules à devoir scrupuleusement respecter le droit du travail chinois...?

A suivre.

lundi 16 mai 2011

Les touristes chinois et la France

Plusieurs articles de la presse chinoise évoquent la hausse de la consommation chinoise de produits de luxe en dehors de la Chine.

Le consommateur chinois de luxe est plutôt masculin et surtout beaucoup plus jeune que l'Européen et à fortirori l'Américain du Nord. Il voyage beaucoup et achète des produits de luxe à l'étranger. A commencer par Hong Kong, où ces produits sont détaxés.

Mais pour ceux qui ont les moyens d'aller plus loin, le prix n'est pas déterminant: c'est l'origine du lieu d'achat qui donne de la valeur au produit. Car un sac ou un parfum acheté en France ne peut pas être un faux (shanzhai). D'où l'attrait de la France qui compte beaucoup de grandes maisons de haute couture, parfum et maroquinerie. Justement notre pays est le 2e pays dans lequel les Chinois dépensent le plus, après les USA: 1300 euros par jour. Souvent ils ne restent que quelques jours ou heures dans des marathons touristiques européens (Paris, Londres, Rome, Bruxelles... en une semaine), mais l'impact est énorme. Surtout depuis 1 an, c'est une explosion des ventes.
Quelle aubaine!

Et pourtant que de frustrations derrières ces chiffres mirobolants. D'abord l'image des touristes chinois n'est pas excellente, loin s'en faut, chez les vendeurs français en contact avec cette clientèle exigeante, pressée et avec qui ils ne peuvent pas ou peu communiquer. Et réciproquement, ces derniers se plaignent du (faible) niveau de service français. Les anecdotes abondent des deux côtés...
Tout est ici affaire de perception, de rapport de force dans la relation commerciale, de sentiment de n'être pas respecté, de culture en somme...


Heureusement, certaines grandes marques commencent enfin à s'en inquiéter, et à se donner les moyens d'y rémédier. Non pas en martelant la nécessité de bien traiter les clients chinois (volontarisme inutile qui se heurte à des habitudes comportementales bien enracinées) mais en formant leurs équipes européennes: par des prises de conscience qui explicitent le "pourquoi" des différences de comportement, et par des mises en situation qui apprennent "comment" établir une relation mutuellement satisfaisante, dans laquelle vendeur et client se sentent respectés.


Il est crucial que les marques françaises s'attellent à rehausser l'accueil des clients chinois qui détiennent, dans leur porte-monnaie, rien moins que l'avenir du luxe français en ces temps difficiles. Ce boom risque de ne pas durer éternellement, et viendra un jour où (le développement de marques non-occidentales aidant) la qualité de service sera peut-être aussi importante que la marque elle-même.