vendredi 15 octobre 2010

L'élitisme du système éducatif chinois

Un numéro hors-série de Courrier international intitulé "La Chine qui vient..." propose des articles intéressants signés par des intellectuels chinois. L'un d'entre eux critique le paradoxe qui existe en Chine entre un système éducatif fondé sur la méritocratie (inventée par les Chinois dans l'Antiquité avec l'examen d'entrée dans la fonction publique) et la réalité qui est celle du piston et de la sélection par l'argent. A un bien moindre degré, c'est un problème que nous connaissons en France avec notre carte scolaire...
En Chine, le but ultime est d'obtenir la note maximale à l'examen final qui couronne la scolarité(gaokao ou" haut examen"), qui permet d'être admis dans une "bonne" université. Mais en fait, la pression et la compétition commencent quasiment dès la maternelle.
En effet, pour entrer dans un bon lycée (et de se préparer au mieux au gaokao), il faut venir d'un bon collège, et donc d'une bonne école primaire, et donc d'un bon jardin d'enfants... Le critère d'admission, ce sont les notes obtenues à l'examen qui clotûre chaque passage dans le cycle supérieur, les buxiban (activités "extra-scolaires" (mais en fait indispensables pour se distinguer (et non pas s'épanouir) de musique, danse, échecs, etc...) et bien sûr la réputation de l'école dont vient l'élève.
Premier coup de canif dans le principe de méritocratie: les buxiban et les frais de scolarité dans les bons établissements coûtent très cher et représentent un véritable sacrifice financier pour la majorité des parents chinois.
Dans cet article publié par le journal cantonais Nanfeng Chuang, l'auteur explique que dans la capitale, le concours d'entrée au collège avait été supprimé en 1998 pour instaurer un système de répartition informatisée des élèves, fondé sur l'égalité et non plus sur les notes des élèves.
Mais cette expérience s'est heurtée à l'élitisme foncier des parents d'élèves pékinois qui, dès la mise en place du système, ont fait des pieds et des mains, activants guanxi (au sens de "piston") pour faire admettre leur enfant dans un "bon" établissement plutôt que dans celui dans lequel ils étaient affectés par l'administration.
De leur côté, les bonnes écoles pékinoises ont trouvé toutes sortes de raisons pour refuser les élèves "médiocres" afin de garder leur bonne réputation, et de continuer à attirer les "bons" élèves.
Enfin, comble de l'injustice, les écoles dites "cofinancées" par des ministères et des entreprises publiques et privées, accueillent en priorité les enfants des salariés de ces organismes, mettant définitivement à bas le système égalitaire de répartition informatisée.
Mais comme ces élèves privilégiés ne sont pas forcément de bon niveau, une dose de méritocratie a été réintroduite depuis 3 ans, laissant une mince chance aux familles ordinaires de voir leurs enfants entrer dans un collège réputé. "Les personnes influentes font passer des des mots, les riches donnent des billets, mais les petites gens comme nous ne peuvent compter que sur leurs enfants pour y arriver" se plaint un parent d'élève.
Ce qui signifie pour un collégien un quotidien écrasé de travail. "Chaque jour, en rentrant de l'école, il passe 1h à faire ses devoirs, puis il fait 1h de musique, 1h de maths et 1h d'anglais, si bien qu'il se couche presque tous les soirs à 23h30. Il ne tient que grâce au café et au thé."
Les parents d'élèves ordinaires en veulent à la classe des privilégiés mais ils ne peuvent diriger leur haine que sur les enfants de mingong (ouvriers-paysans qui n'ont pas le hukou: permis de résidence de Pékin): "Plus grave encore, maintenant les enfants de migrants veulent venir nous prendre nos places!" Depuis mai 2010, les enfants de mingong ont en effet le droit d'accéder aux écoles primaire et secondaire, mais ils n'ont pas (encore) le droit de passer le gaokao pour entrer à l'université à Pékin.
"Le plus affligeant, ce n'est ni la lenteur ni la difficulté à faire progresser le système, mais le mépris et les préjugés ancrés dans le coeur des gens." Les élites méprisent les enfants d'origine modeste, les parents ordinaires dédaignent les enfants de migrants, refusant que leurs rejetons s'assoient sur les même banc d'école. "Enfin, les migrants riches regardent de haut la progéniture des vendeurs ambulants de lait de soja, et craignent qu'elle n'ait une mauvaise influence sur leur propre enfant. On peut se demander quel avenir réserve à notre peuple ce type de système éducatif..." conclut le journaliste désabusé.