lundi 29 décembre 2008

Les managers chinois en question: une certaine réticence à développer leurs équipes (2)


Suite de notre enquête sur les managers chinois (voir article du 12 décembre sur http://www.solutionschine.blogspot.com/ l'actualité des RH et du management en Chine).


D'après les DRH chinois de quelques grandes entreprises françaises que j'ai interviewé en novembre dernier, outre la définition même du rôle du manager, la question de l'évaluation de leurs équipes et du "people development" n'a rien d'évident pour de nombreux managers chinois:

« L’évaluation pose énormément de problèmes : le chef d’équipe ne dit pas honnêtement ce qu’il pense de son équipe. Les managers chinois n’aiment pas licencier eux-mêmes, ils demandent aux RH de le faire à leur place. »


« Les managers chinois n’ont pas envie de développer leur équipe. S’ils ne sont pas contents de quelqu’un, ils le licencient sous un faux prétexte, sans dire pourquoi. »

« Certains managers préfèrent virer leur staff dès qu’il y a contre performance, plutôt que de les développer. Ou alors ils leurs mettent des chaussures trop petites (chuan xiao xie
穿小鞋).

Transmettre son savoir-faire, former les n-1 remet forcément en question une conception très hiérarchique du management dans laquelle "l'information, c'est le pouvoir". On voit là toute la difficulté pour les entreprises occidentales impantées en Chine de diffuser leur culture d'entreprise (moins pyramidale, prônant le partage des connaissances et l'empowerment des salariés) via leurs managers chinois. Ces derniers, même très "occidentalisés", ne partagent pas toujours la même conception du leadership.
Ces conclusions rejoignent le témoignage de Yi Min, Director of Global leadership and Organization Development, Lenovo (cité par F. Gallo dans son ouvrage sur le leadership en Chine): « This is basically a punishment culture. We find mistakes and then punish employees for them. Some call it « management by fear ». Liu Chuanzhi, the founder of Lenovo, used military discipline when he first started. He had a rule about coming late to a meeting. If someone was late, he or she was punished by having to stand for a minute before sitting down and joining the meeting. »

Un dirigeant français de Carrefour avait ainsi découvert que des managers chinois faisaient subir des punitions indignes à leurs équipiers (comme courir sur le toit du magasin pendant des heures), en contradiction totale avec les valeurs de l'entreprise.

Par ailleurs, pourquoi un manager chinois qui n'a jamais été "développé" par son propre manager le ferait-il pour ses équipiers? Peut-on donner ce qu'on n'a jamais reçu?

Il y a un très grand chantier de formation et de coaching à mettre en oeuvre pour convaincre les managers chinois de l'intérêt qu'ils peuvent avoir à transmettre et former leurs successeurs. Comme le reconnaît Xu Fang, Vice President TCL Institute of Leadership Development (cf F. Gallo): « We need our most senior people to understand the importance of developing others. This is a new concept for many of our existing leaders. Many of them are very strong personalities who grew into their positions by working very hard and very long. The idea that we would actually help develop others into leadership positions still needs to be proven to some of these existing leaders."

Mais cette nécessité d'encourager les managers chinois à développer leurs équipe se heurte forcément à la question de leur motivation. Pour qui travaillent-ils? Non pas pour l'entreprise, mais pour eux-mêmes et éventuellement pour leur n+1 si ce dernier est parvenu à instaurer une bonne relation fondée sur la confiance et la réciprocité. Les DRH chinois sont bien conscients de la démarche très "consommatrice" des salariés chinois, comme le prouve cette remarque d'une RH Manager: « Je leur dis : « essayez d’apprendre le plus possible, et si l’entreprise ne peut pas vous rendre ce que vous avez fait pour elle, si vous voulez plus, tant pis pour elle. Pour les motiver, je leur dis : « faites-le pour vous-mêmes ». Car ils ne le feront pas pour l’entreprise. »

(à suivre) contact: Chloé Ascencio interculturelchine@orange.fr