dimanche 11 décembre 2011

Comprendre le capitalisme chinois

Un chercheur chinois nommé Nan Lin publiait en 2010 un passionnant article intitulé: "Capitalism in China, A centrally managed Capitalism (CMC) and Its Future" dans la Management Organization Review dédiée au management en Chine.


Il montre en détail que le capitalisme d'Etat chinois joue un rôle essentiel dans tous les aspects de l'économie. Les entreprises d'Etat (EE) et affiliées sont en compétition avec les autres sur le marché et leurs élites bénéficient des mêmes gratifications que les autres capitalistes. Cependant ces cadres obéissent aux diktats de l'Etat plutôt qu'à ceux des comités de directions et des actionnaires. Le marché "libre" dit Nan Lin est asymétrique en faveur des EE qui ont toutes les facilités d'accès au crédit et aux ressources (ex: terre, matières premières, etc...) à la fois en Chine et à l'étranger.


Mais comment l'Etat contrôle-t-il et manage-t-il les top managers de ces entreprises, au-delà des habituels systèmes de rémunération à la performance?

Nan Lin analyse la structure d'incitative (et punitive) qui motive et pousse ces hauts dirigeants et leurs entreprises à répondre à ses attentes.



Récompense et Contrôle du Personnel




Le Département d'Organisation Central est l'un des bureaux les plus puissants du parti. Il recrute, nomme, évalue, promeut et destitue les centaines de cadres du Parti et du gouvernement au niveau central, régional et municipal, et détient un dossier sur chacune de ces personnes dans toutes les organisations de type: EE, mdédis, universités, institutions, fondations etc... Les entreprises ne font pas exception puisque dans chacune il y a un un secrétaire du Parti et un bureau du Parti. Chez Geely, le groupe privé qui a acquis Volvo, c'est le fondateur et PDG Li Shufu qui tient ce rôle lui-même.

Mobilité et incitations sont synchronisées dans les arènes politiques et économiques. On observe une grande mobilité du personnel qui fait des allers-retours de la hiérarchie politique vers les EE et affiliées.




Récompense et Contrôle des Organisations




Chaque EE et affiliée, chaque organisation, chaque unité de travail a un rang parallèle et similaire aux unités militaires. Par exemple, une université nationale de premier plan comme Qinghua Daxue porte le rang de "division" et une université local de "régiment". Dans une moindre mesure, les rangs s'appliquent aux entreprises en fonction de leur rayonnement et de leur taille. Les postes dans ces entreprises sont ssimilables à des grades, ce qui permet le transfert aisé du personnel à travers les organisations publiques. Par exemple les PDG des companies pétrolières, minières, métallurgiques et des banques (EE) font régulièrement l'objet de "rotations" y compris dans d'autres secteurs d'activités.

La performance individuelle (économique) est un critère de promotion dans la sphère politique, ce qui contribue à l'affermissement d'une technocratie.

Cette interpénétration du politique et de l'économie ne se limite pas aux entreprises publiques. Ainsi Niu Gensheng le patron de Mengniu (entreprise privée) impliqué dans un scandale de lait contaminé a été forcé de vendre 20% de ses parts à une EE qui a pris le contrôle de la principale filiale du groupe.


L'Etat-Parti maintient un fort contrôle sur les principales entreprises de la plupart des secteurs: automobile, télécommunications, transports, ainsi que sur les groupes affiliés aux gouvernements locaux par le capital, le personnel et autres relations.


Beaucoup des soit disant entreprises privées (qu'on appelle d'ailleurs pudiquement minying 民营 "populaire" plutôt que siying 私营 "privée", nuance subtile) telles que Huawei, Lenovo, Haier, Chery, tous élus champions nationaux (et fers de lance de la politique de conquête du marché mondial 走出中国 zouchu Zhongguo (sortir de Chine) sont en fait étroitement liées à des organismes publics (universités, académies or gouvernements locaux) garants de la cohérence de la politique industrielle chinoise. Par exemple, le principal actionnaire de Lenovo était l'académie des Sciences.




Contrôle du Capital et du Commerce




Toutes les banques sont publiques et sous le contrôle d'un Vice Premier au niveau du Conseil d'Etat. Elles sont le fer de lance de la politique industrielle et commerciale et ont largement contribué au plan de relance de 2008. Elles ont permis la vague d'acquisitions de groupes automobiles occidentaux également, en consentant des prêts sans intérêts.


Les flux de capitaux sont à double sens. L'Etat reçoit les dividendes de ses participations (en tant que propriétaire à 100% ou actionnaire) dans de nombreuses entreprises, qui représentent 26% de ses revenus.

Chaque fois que la Chine signe un accord commercial à l'étranger, elle s'engage inévitablement à fournir des infrastructures et à mettre en place des projets d'exploration de ressources naturelles. Ce sont toujours ses entreprises publiques ou affiliées qui bénéficient des budgets alloués.


L'aspect positif de ce capitalisme d'Etat est son efficacité dans le développement du pays, la face sombre, souligne Nan Lin, est la corruption qui accompagne nécessairement une telle imbrication du politique et de l'économique.


Il conclut en reprenant la notion deux fois millénaires évoquée par Deng Xiaoping en 1979: la modernisation de la Chine allait permettre d'atteindre Xiaokang 小康 la "petite prospérité".

Evoquée dans le Classique des Rites, cette société aurait succédée à la société idéale ou régnait Datong 大同 grande Harmonie. On peut considérer qu'aujourd'hui l'objectif de prospérité modeste a bien été atteint en Chine. Quand à l'Harmonie ...