lundi 7 novembre 2011

La double "absence" de patron et de relation de travail dans l'industrie du bâtiment chinoise

La revue Perspectives chinoises publie un travail de recherche sur le milieu des ouvriers du bâtiment et révèle un paradoxe: leur surexploitation est organisée par ... la loi elle-même énoncée par l'Etat central. Depuis 1984, les entreprises de construction n'ont plus le droit d'embaucher directement de la main-d'oeuvre mais doivent passer par des entrepreneurs qui eux-mêmes sous-traitent le recrutement des ouvriers à des fournisseurs locaux  dits 带工 daigong qui recrutent des travailleurs de leur famille ou de leur village.
Certes ces directives ont permis de rationaliser ces énormes entreprises d'Etat mais au détriment de la force de travail car elles organisent sa surexploitation. Plus de 40 millions travailleurs font partie de ce système pyramidal. "Dans la chaîne de production, les entrepreneurs principaux contrôlent la production des projets grâce à leur relation avec les promoteurs immobiliers et le gouvernement local, tandis que dans le même temps, ils externalisent leur travail à des entrepreneurs secondaires.[...] "Ils ne s'ennuient pas à se salir les mains. Ils nous transfèrent tous les risques. C'est nous qui devons faire face aux ouvriers lors des arriérés de salaires quand l'argent ne descend pas jusqu'à nous" dit Lao Fung, un entrepreneur de troisième rang. 
La relation capital-travail disparaît, la production est de petite échelle et organisée par de petites équipes qui ne savent pas qui est le patron car il n'existe pas de réel lien employeur-employé et personne n'est responsable.
Aucune de ces entreprises ne respecte la loi du travail de 2008 ce qui signifie: ni contrat, ni protection sociale, ni salaire. Le paiement global est censé avoir lieu en fin de chantier, et les retards sont chroniques pour ne pas dire inévitables. "Les ouvriers ont tendance à croire que leur sous-traitant, un parent ou un co-villageois, ne partira pas avec l'argent.[...] Cette confiance a été détruite toutefois lorsque dettes et arriérés de salaire sont devenus monnaie courante à la fin des années 1990."
Le seul recours est de 闹 nao (faire du bruit et déranger l'ordre) en prenant le risque de "détruire une relation, et déranger l'harmonie sociale en envoyant une pétition à l'administration ou en bloquant une autoroute, voire recourir à la violence car en l'absence de contrat de travail, la loi n'est pas du côté des ouvriers: "des bagarres, des blessures physiques, un comportement suicidaire, ou des tentatives d'endommager les bâtiments" tout juste construits.
Les ouvriers en appellent non pas à la Loi 违法 weifa, mais à 公道 gongdao, "la moralité qui dérive d'une loi fondamentale dans l'équité humaine". "Dans la société chinoise, la loi est une nouvelle croyance créée par l'Etat" qui n'a pas vraiment de sens pour les ouvriers, et n'est jamais de leur côté de toute façon...

Et l'article de conclure: "Dans leurs luttes, la situation "d'absence de patron" et par conséquence "d'absence de relation de travail" est moins un problème de droit qu'un question de classes éguisée par un discours légal."

Et comment résister à la tentation de faire un parallèle avec cet article du Figaro citant Jin Liqun, président de la China Investment Corporation (CIC), un fonds souverain chinois: "Les troubles qui se sont produits dans les pays européens résultent uniquement de problèmes accumulés par une société en fin de course, vivant d'acquis sociaux.[...] Je pense que les lois sociales sont obsolètes. Elles conduisent à la paresse, à l'indolence, plutôt qu'à travailler dur. Le système d'incitation est complètement détraqué",  a jugé le financier chinois, interrogé par Al Jazeera sur la volonté de son pays d'aider l'Europe à sortir de la crise de la dette dont la Chine détiendrait déjà 550 milliards.