lundi 9 mai 2011

Le chinois est une écriture plutôt qu'une langue

Le sinologue C. Javary nous a fascinés le 4 mai dernier à Sciences Po. Son érudition et son incroyable talent d'orateur ont impressionnés tous les auditeurs y compris les Chinois, peu habitués, de leur propre aveu, à ce type de démarche étymologique. Dans le système éducatif chinois, les élèves étudient leur langue, mais on n'éprouve pas le besoin de l'expliquer, de chercher l'origine de tel ou tel caractère ni la cause expliquant le choix de tel ou tel composant dans l'assemblage d'un idéogramme.


Agacement poli des professeurs de chinois quand l'élève français demande: "Pourquoi telle manière d'écrire ou telle règle de grammaire?"

Réponse: "Parce que c'est comme ça!". Point.

Chercher les causes, cette manie occidentale...


Pourtant l'étymologie des caractères chinois, spécialité de C. Javary, est tellement éclairante pour comprendre la vision du monde chinoise, la mentalité. On s'aperçoit aussi qu'il faut vraiment se méfier des traductions!

Prenons par exemple le fameux 四海之内皆兄弟 "Entre les quatre mers, tous les hommes sont frères aînés/cadets (兄弟 xiongdi)" que les jésuites ont (mal) traduit "tous les hommes sont frères" (au sens d'égaux) pour tenter de démontrer la ressemblance entre les messages confucéen et chrétien. Or le mot "frère" n'existe pas en chinois, il est trop imprécis et pas assez contextuel! Pareil pour soeur, c'est soit la cadette, soit l'aînée. En fait cette sentence veut au contraire dire que TOUTE relation est hiérarchique.


Mais, nous dit Javary,le système de subordination chinois n'est pas figé dans un rapport de classe ou de caste, il est copié sur le modèle de la relation parent-enfant qui est naturellement évolutive. En Chine on obéit aux parents, non pas parce qu'ils sont d'essence supérieure, mais parce que c'est le meilleur moyen de devenir parents à son tour. La hiérarchie selon les Chinois garantit la continuité par le passage des générations.


Même l'empereur, qui se place au-dessus de tous les Chinois, porte un titre de sujétion: "Fils du Ciel" 天子 tianzi, et il rend hommage à ses propres ancêtres chaque 21 décembre dans le Temple du Ciel qui est son autel privé familial.


Le contrat 合同 hetong en chinois est composé de 合he accord parfait du couvercle qui s'emboîte sur le récipient et de 同tong qui signifie pareil. Mais contrairement à la vision occidentale, cette harmonie de vue des 2 partenaires n'est que temporaire. Certes l'engagement est oral, pas écrit (contrairement aux traditions commerçantes de la Méditerranée), mais il est fait pour durer aussi longtemps que la relation d'amitié. Ainsi la confiance 信 xin se compose de 亻ren l'homme et de 言yan la parole (donnée).


En latin contrat se dit contrahere: tirer (les voiles du bâteau) ensemble.
En Chine, on nous remercie toujours de notre 合作 hezuo: coopérer, qui signifie tout le monde fait la même chose en même temps et obéit aux instruction (c'est l'harmonie du semblable).


Autre exemple, le caractère 利 li qui signifie profit est révélateur de l'éthique chinoise de l'effort: formé de 禾 he signe des céréales et de l'abréviation de刂 dao (outil tranchant) il révèle qu'en Chine, le succès ne tombe pas du ciel mais au contraire c'est le fruit du travail humain. Au contraire, le "heur" de bonheur et malheur vient de quelque chose d'externe à l'homme (chance, sort...).
Les mots chinois sont invariables en genre et en nombre tandis que les mots alphabétiques changent de forme (cheval, chevaux) par contre leur sens est fixe. Tandis que les mots chinois changent sans cesse de sens selon le contexte: c'est à dire le caractère qui précède et celui qui suit. D'où l'aptitude exceptionnelle des Chinois à concevoir le changement.
Nous avons un livre des fondements (vérités intagibles, les 10 commandements gravés dans le marbre), les Chinois ont un livre des Changements (Yijing) car le changement est la seule base stable sur laquelle bâtir une stratégie.