mardi 3 avril 2012

Le développement des managers chinois dans les multinationales en Chine

Un article publié en janvier dernier sous le titre: "Talent Management at Multinational Firms in China" in Knowledge@Wharton est traduit dans l'édition d'avril de www.paristechreview.com. Les auteurs y évoquent la difficulté pour les groupes occidentaux de promouvoir les managers chinois pour assurer la pérennité des organisations en Chine. J'en décortique ici quelques extraits significatifs.

"Selon Brian Newman, directeur financier de PepsiCo China, “nous sommes maintenant presque entièrement localisés, à l’exception de quelques postes de cadres dirigeants”.
La question que pose ce genre d'affirmation est : et pourquoi seulement "presque" et pas "entièrement localisés"? Donc quels sont les point d'achoppement de cette politique de développement des managers chinois, qui ne parvient pas à supprimer les top managers expatriés c'est à dire les plafonds de verre?
Pourquoi les cadres chinois peuvent-ils se sentir mal à l'aise dans un groupe occidental ?
" Étant donné qu’ils présentent souvent leurs rapports à des cadres étrangers responsables d’unités d’affaires régionales ou mondiales, qui sont moins au fait des changements rapides ou des pratiques commerciales propres au marché chinois, les employés locaux ont le sentiment qu’ils perdent une grande partie de leur temps à “traduire” pour les étrangers. Par exemple, de nombreuses multinationales ont un contrôle interne rigoureux pour prévenir le
détournement et la fraude qui peuvent présenter des risques importants sur un marché émergent comme la Chine. Les cadeaux pour les responsables gouvernementaux et les partenaires commerciaux – en d’autres termes, le bakchich – sont strictement encadrés en termes de valeur et de pertinence, même à l’occasion des grandes fêtes chinoises, lorsque de telles pratiques sont monnaie courante. Comme l’observe un expatrié, les cadres locaux estiment qu’avec ces règlements établis par les dirigeants étrangers, “ils n’ont pas les coudées franches, ce qui rend leur travail impossible”. Des opportunités externes peuvent donc présenter plus d’attrait."
Incompris dans leurs pratiques du guanxi, les managers chinois trouvent peut-être moins de compensations en terme de face (statut et rémunération) dans un groupe occidental que dans une organisation chinoise.

"Certaines sociétés chinoises offrent de meilleures possibilités de développement de carrière à long terme et une meilleure rémunération (que les multinationales américaines, sans parler des françaises). Un dirigeant de Procter & Gamble le confirme: “La rémunération en Chine est très bonne, avec un triplement des salaires après trois ans. Sans parler des logements ou véhicules de fonction, ou des prêts sans intérêt que vous obtenez lorsque vous gravissez les échelons. Nous ne sommes pas radins, mais nous ne pouvons tout simplement pas rivaliser avec les stock-options délirantes que les entreprises chinoises mettent sur la table lorsqu’elles veulent un nouveau directeur du marketing.”
"Comme le note Richard Sprague, un dirigeant de Microsoft basé à Beijing: “Nos employés savent qu’ils peuvent aller chez Baidu (une société high-tech chinoise) ou dans d’autres sociétés et y obtenir un grand fauteuil avec une centaine de personnes sous leurs ordres ».
Des parcours de mobilité menaçants pour la face,

« Les liens familiaux et l’obligation culturelle de prendre soin de ses parents peuvent entraîner le personnel à s’opposer à la relocalisation. Les Chinois, bien qu’avides de visibilité internationale, sont parfois réticents à quitter leur pays en raison des changements rapides du marché et de la peur de perdre le contact avec leur vie quotidienne, mais aussi de voir se dissiper leur connaissance des affaires locales dans un pays qui évolue à toute allure. L’affectation par rotation, avec des changements géographiques, jugée primordiale dans le développement de carrière de certaines multinationales, aboutit souvent à un prix à payer élevé tant pour la carrière que pour la vie
de famille du point de vue des talents locaux. »
Sur ce point soulignons que les parcours manager impliquant un passage par le « terrain » (le magasin dans la grande distribution, l’atelier dans certaines industries…) - souvent considéré comme primordial pour s’imprégner de la culture de l’entreprise - peuvent être vécus comme des punitions rétrogradant le manager chinois à une position inférieure. Plus encore que le gain de face matérialisé par la rémunération et le statut social, c’est le style de management qui peut attirer les hauts potentiels vers des groupes chinois dans lesquels ils se sentiront en phase avec les valeurs de l’entreprise.

Finalement, on peut dire que la concurrence des groupes chinois sur le marché du recrutement des managers est probablement plus "culturelle" que financière.

« Les cadres chinois ont tendance à être plus à l’aise dans des structures clairement hiérarchisées, par opposition à des structures plus ouvertes et collaboratives ou des environnements de bureau plus égalitaires. Comme le remarque un dirigeant de Microsoft, “les cadres chinois peuvent avoir du mal à évoluer au sein de multinationales et grimper les échelons lorsqu’il est nécessaire de défier l’autorité, d’exprimer des opinions divergentes et de prendre des risques”.

Le premier point d'achoppement des parcours de managers tient à la difficulté des cadres chinois à s'adapter au style de communication et de management occidental. Une chose est de l'apprécier en tant que subordonné, une autre est de l'incarner en tant que dirigeant, tout en jouant un rôle de médiateur entre les 2 cultures.

Réciproquement, le second obstacle au développement d'un management 100% chinois est la difficulté des groupes occidentaux à s’adapter aux valeurs et attentes des managers chinois afin de les sélectionner, évaluer et préparer de manière pertinente (qui fasse sens) et motivante.
« Microsoft, par exemple, utilise deux méthodes pour exposer ses cadres chinois à un contexte international: la première envoie les meilleurs cadres américains en Chine pour travailler côte à côte avec les employés locaux
et assurer un coaching de développement. La seconde – parfois considérée comme un programme “d’expatriation inversée” – envoie des cadres chinois aux États-Unis pendant plusieurs mois pour acquérir une meilleure compréhension des opérations menées au siège social et pour y emmagasiner une expérience précieuse en travaillant dans un environnement étranger. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Un directeur de programme académique dans une école de commerce chinoise de premier plan explique ainsi que la question fondamentale, c’est la confiance: “Est-ce que le siège vous fait confiance? Quand les employés locaux en doutent, ils partent. Le problème avec de nombreuses multinationales est que les systèmes visant à promouvoir les cadres locaux sont toujours improvisés. Sans la mise en place d’un système d’accompagnement formel, le processus consistant à identifier un ou deux meilleurs candidats par an, et à les envoyer à l’étranger et en espérant qu’il s’y développera le lien de confiance nécessaire, ne fonctionne pas. Les systèmes qui existent sont encore immatures. »
Ce constat de la part de géants américains qui font pourtant référence en terme d'innovation managériale, s'inscrit justement dans le cadre de nos recherches actuelles.
L’acculturation via un séjour au siège et le coaching (encore faut-il savoir ce que recouvre cette appellation très galvaudée) sont certes de bonnes méthodes mais elles ne suffisent pas à elles seules à résoudre automatiquement l'inadéquation entre les multinationales occidentales et leurs cadres chinois!
Pour réussir elles nécessitent au minimum :

- En amont, la consultation des cadres chinois de l’entreprise qui doivent être associés à la conception du parcours manager, et donc des critères de sélection et d’évaluation.
- Ce travail sera accompagné d'une vraie réflexion collective sur les valeurs de la filiale chinoise et l’hybridation de deux cultures du leadership extrêmement différentes,

- En aval, un suivi personnalisé (dont les conditions de succès restent à définir) à long terme permettant de véritables prises de conscience,
- permettant enfin l'adoption de nouveaux comportements donnant l'exemple au sommet de l'organisation, en phase avec l'approche comportementale du leadership chinois.

Cependant il reste encore beauoup à découvrir et à comprendre, ce à quoi nous nous employons avec certains groupes français. Il convient d'adopter une approche extrêmement pragmatique, autrement dit de "traverser la rivière en tâtant les pierres".