mercredi 29 février 2012

Le management par "la voie du milieu" dans les entreprises en Chine

Le management occidental avec ses process transparents, identiques pour tous, ses politiques RH d'évaluation et de rémunération à la performance et son style de communication ouvert est à même de répondre au besoin d’équité ( des règles universelles et non pas fonction du statut et des relations dont on peut se prévaloir) des Chinois issus des générations post-1980, ainsi qu'à leur désir d'être soutenus dans leur développement par leur manager direct.

Mais on observe que les managers chinois des entreprises occidentales ont très souvent des références et un mode de fonctionnement bien différent des attentes d'une entreprise occidentale. Leur pratique puise dans la tradition daoïste/confucéenne du pouvoir et vient "hybrider" ces standards et process non-chinois.

La voie du milieu 中庸之道 zhongyong zhidao dont se réclament de nombreux cadres dirigeants chinois suggère l’idée d’équilibre, de modération et d’approprié par la combinaison des extrêmes et des contraires. Elle affecte le style de management, de leadership dont elle incarne même l’idéal, consciemment ou non, pour de nombreux managers chinois. Il s'agit de manager par l’humain et non par les procédures perçues comme « mortes », donc inappropriées à la situation réelle et parfois inhumaines lorsqu’il s’agit de donner un feedback négatif qui fera perdre la face au n-1 : la voie du milieu recommande la rétention d’information garante d’harmonie.

La zhongyong daoïste se trouve ainsi à l’antithèse des comportements voyants, héroïques, agressifs du « winner » souvent associés au leadership en Occident, mais qui sont perçus en Chine comme menaçants pour les supérieurs hiérarchiques. Le leader pratiquant la zhongyong est réservé, évasif et neutre, comme l’eau qui prend la forme de son contenant.

Dans leur article passionnant intitulé « The effect of traditional Chinese fuzzy thinking on Human Resources practices in Mainland China”, Li Yuan and Robert Chia ont étudié les effets concrets de cette "pensée floue" - qu'ils associent directement à zhongyong - sur le style de management des entreprises privée chinoises.

Ainsi dans une entreprise chinoise privée, les tests de personnalité américains ont dû être adaptés au contexte chinois explique le DRH. Aux 4 profils types (tigre, paon, koala et chouette, respectivement sanguin, irritable, flegmatique et mélancolique) est venu s’ajouter le « caméléon » pour qualifier ces managers chinois quadragénaires « capables de contrôler et de choisir leur tempérament en fonction des différentes situations pour se protéger. Leur capacité à cacher leurs émotions et opinions vient de leur expérience et d’une profonde compréhension de zhongyong. »

Zhongyong est fonction du niveau d’éducation, les cols bleus en manquent et ont tendance à s'exprimer de manière assez directe, tandis que “Les cols blancs préfèrent cacher leurs sentiments. Plus on connaît le code éthique et les règles de zhongyong, moins on devient franc. »

Cette étude de cas nous rappelle un élément essentiel du management et de la communication en Chine: leur absolue contextualité. On ne s'adresse pas de la même façon à un subordonné ou à un égal, on ne manage pas tous les collaborateurs selon un comportement standard: dur avec les opérateurs de base, plus chaleureux avec les n-1 (notamment durant les activités de team building), formel à l'extrême pendant les réunions, déférent avec ses propres supérieurs hiérarchiques, le manager chinois a de multiples facettes qui rendent difficile l'évaluation de ses compétences de leadership (le fameux 360°C).

L’âge des collaborateurs est aussi à prendre en compte, selon un General Manager chinois : « Les post-80 ont tendance à s’exprimer plus librement et peuvent contester les résultats de l’évaluation de leur performance. Cependant, après 30 ans, la plupart des Chinois préfèrent garder le silence et éviter toute confrontation. Le temps et l‘expérience arrondissent leurs angles et leur fait comprendre la véritable essence de zhongyong.”

Ces informations sont fondamentales pour une entreprise française opérant en Chine. Même si le mode de recrutement sélectionne les collaborateurs chinois les plus à même de communiquer sur un mode occidental explicite et direct, il serait naïf de croire que ces derniers sont totalement dépourvus de zhongyong, surtout au moment où ils accèdent à leur tour au statut tant désiré de manager...

Zhongyong, en empêchant une communication ouverte, produit un leadership « distant » bien éloigné des attentes des jeunes collaborateurs chinois en demande de soutien, de développement personnel et de carrière.

Zhongyong, en prônant l'adaptation du comportement managérial à chaque interlocuteur, laisse planer un sentiment d'injustice et mine la confiance des collaborateurs chinois dans le système d'évaluation de l'entreprise, puisqu'au final, l'essentiel est d'avoir pu nouer une bonne relation avec le manager direct - exactement comme dans les entreprises chinoises paternaliste!

Souvent les managers chinois n’ont pas vraiment conscience de la contradiction entre leurs propres pratiques et les valeurs de l’entreprise occidentale qu’ils sont pourtant censés incarner, et par là-même de l'effet démobilisateur du management par zhongyong .

Une hypothèse est qu’ils ne perçoivent peut-être pas cette contradiction! En effet, le mode de pensée daoïste est non-binaire: il s'accommode très bien des oppositions qu'il combine et annihile pour produire de l’harmonie. D'où la pertinence des démarches individuelles de prises de conscience, plus à même de produire du changement que les programmes volontaristes qui ne font que glisser sur des certitudes bien ancrées.