lundi 21 novembre 2011

Réciprocité, un concept clé du management en Chine

Dans l'excellente Organization and Management Review consacrée au management chinois et dirigée par la brillante chercheuse sino-américaine Anne Tsui dont nous citons souvent les travaux, J. B. Wu et son équipe présentent leur enquête conernant l'influence de la notion de réciprocité sur la rétention des collaborateurs chinois.

C'est en effet une clé essentielle de compréhension de toute relation professionnelle. La réciprocité dans l'échange de face et de services qui permet l'existence d'un guanxi (relation de confiance, porte d'entrée, réseau...) se fonde sur la notion de "dette de face" qui est la forme d'engagement la plus implicante et remplace le contrat.
Les chercheurs de Wu se sont penchés sur les facteurs d'engagement d'un manager chinois à l'égard de son employeur. Ils ont considéré 4 éléments pour préparer leur questionnaire: empowerment psychologique, engagement affectif, intention de démissionner, confiance dans l'organisation.

L'enquête réalisée auprès de managers chinois inscrits à des programmes de MBA distingue ainsi 3 formes de réciprocité:


一般性互惠 Generalized Reciprocity (altruisme de l'entreprise sans contrepartie du collaborateur)
My organization would do something for me without any strings attached.
My organization takes care of me in ways that exceed my contribution to the organization.

平均互惠 Balanced Reciprocity (relation donnant-donnant)
It seems important to my company that my efforts are equivalent to what I receive from the company.
If I do my best and perform well, my organization will give me the opportunity for promotion.


消极的互惠 Negative Reciprocity (absence de contrepartie de l'entreprise)
My organization expects more from me than it gives me in return.
My organization only cares about its own benefits and never cares about my career or living.



Les résultats démontrent "scientifiquement" une réalité aisément observable mais qu'il est bon de rappeler:

Les entreprises ayant des politiques RH altruistes sans exiger de contrepartie (réciprocité généralisée) ne suscitent pas un sentiment "d'obligation" (morale) mais, pour autant, les employés n'expriment pas le désir de démissionner. En effet, ce type de politique est positivement associé avec la confiance en soi, l'engagement affectif et la confiance dans l'entreprise.

A l'inverse, les managers chinois interrogés n'éprouvent aucun sentiment d'engagement à l'égard d'une entreprise faisant preuve de negative reciprocity c'est à dire exigeante sur la performance mais négligente en terme de développement des personnes et des carrières.
Les chercheurs s'étonnent que les politiques RH "donnant-donnant" dites "balanced reciprocity" ne suscitent pas moins d'engagement que les politiques RH altruistes dites "generalized reciprocity".
Leur explication réside dans les "traditions chinoises": les Chinois interprètent la réciprocité équilibrée (balanced) comme une forme d'échange social qu'ils connaissent bien. Dans la société chinoise où la norme de dette financière et socio-émotionnelle est essentielle pour nourrir les relations (le guanxi) exiger le "remboursement" ou retour immédiat est non seulement approprié mais légitime en particulier lorsque l'organisation est à l'origine du process d'échange. Interprétant le donnant-donnant de la réciprocité équilibrée comme un signe de confiance et d'investissement dans les Ressources Humaines de l'entreprise, les employés chinois répondent positivement du fait de leur forte adhésion à la norme de réciprocité. Par contraste, les Occidentaux perçoivent la réciprocité équilibrée comme une transaction économique et ne s'attendent pas à recevoir un retour immédiat dans l'échange social.

Le fait que la réciprocité équilibrée et généralisée aient les mêmes effets soulève des implications pratiques sur le management dans les entreprises en Chine. La pertinence des politiques de rémunération à la performance (réciprocité équilibrée) ne fait plus question et leur coût est moindre (et plus quantifiable!) que celui de la réciprocité généralisée selon les auteurs. Elle stimule la confiance dans l'entreprise et la rétention.

Mais il faudrait ajouter aux conclusions de ce cette étude que si une politique de réciprocité équilibrée est essentielle, elle ne suffit pas à susciter un réel
engagement. Selon moi le lien entre un employé chinois et son entreprise est encore trop abstrait ce qui prive cette réciprocité de "sentiment". Si l'on remplace "entreprise par "manager", la démonstration ci-dessus prend toute sa force.

C'est avant tout la relation au manager qui se doit d'être réciproque. Toute la difficulté consiste à convaincre les managers chinois qu'ils ont quelque chose à gagner à développer leurs équipes.