samedi 17 mars 2012

Huawei, un leadership partagé?

Dans le dernier numéro (22) du magazine ChinePlus, un petit encadré intitulé "Huawei: Boss à tour de rôle" a piqué au vif ma curiosité. On y lit que le PDG Ren Zhengfei, bien connu pour diriger son groupe de télécom d'une main de fer, "a décidé de partager son fauteuil avec un de ses employés - simple ouvrier ou cadre sup' -, différent chaque semaine."

Difficile à croire....

Je suis justement en train de relire "L'art de gouverner" du philosophe antique Han Fei Zi, qui incarne l'école de la Loi, et s'est toujours opposé à cette confusion entre intérêt privé et bien public qu'induit le confucianisme. Le moralisme de Confucius l'agaçait, qui plaçait le sens de la famille et la piété filiale au-dessus de tout, justifiant du même coup le népotisme.

Huawei incarne, avec Haier, la tentative de certains groupes chinois internationaux, de passer du "management par les hommes" au "management par les règles". En effet, ces groupes se sont dotés de process limitant la subjectivité des managers au profit d'une évaluation objective car non soumise aux aléas du guanxi (relation, réseau). Cette "déshumanisation" s'accompagnant chez Huawei d'une pression extrême sur les individus, qui est peut-être à l'origine de la vague de suicides de 2007.

Han Fei Zi professe que : "Le pouvoir ni ne se partage, ni ne se délègue" et toute son oeuvre est marquée par l'obsession de l'usurpation, il ne cesse de mettre en garde les princes contre la tentation d'accorder trop de confiance à leurs ministres et conseillers qui souvent n'ont qu'une idée en tête: prendre la place du chef.

Un article paru sur le site anglophone de Caixin fin 2010 éclaire les choses sous un jour édifiant. En 2010, la garde rapprochée de Ren Zhengfei (ses adjoints fidèles depuis 10 ans) a commencée d'être écartée du pouvoir alors qu'il cherchait à faire entrer ses propres enfants dans le comité de direction du groupe. Sur la composition de ce cercle de leadership appelé "executive management team" et qui gère le groupe au quotidien, aucune information n’avait jamais transpiré. A cette époque, on soupçonnait qu'il cherchait à évincer la Directrice Sun Yafang, n°2
du groupe et dauphine présumée, pour laisser la place à son fils, Ren Ping.
Fin 2011, 1 an plus tard, Sun Yafang est finalement partie.
D'autres membres de l'executive team ont été écartés fin 2010, pour faire de la place au fils mais également à la fille de Ren, Meng Wanzhou, appelée à être promue DAF de Huawei. Fin 2010, des fuites (Huawei était réputé pour l'opacité de son fonctionnement) ont laissé entendre q'un grave conflit a opposé les membres de l'executive team meeting. Sun Yafang et Xu Zhiping, president de Huawei's products and solutions staff se sont opposé à la nomination de Ren Ping. Xu et Hu Houkun, le Président Strategy and marketing ont finalement démissionné. Lu Ke a été rétrogradé du titre de Président des Ressources Humaines à celui de Vice-Président tandis que le DAF Liang Hua se préparait à partir pour laisser la place à la fille de Ren.

Rappelons en outre que l’actionnariat de Huawei, complexe et très mystérieux, lui donne un pouvoi absolu. Son plus gros actionnaire est un syndicat des salariés (à la structure très nébuleuse, aucune information sur sa composition réelle n'étant publiée) détenant 98.58% des parts. Ren est le second actionnaire avec 1.42% et de fait, prend toutes les décisions. L'entreprise n'est pas côtée en Bourse et se heurte souvent à la méfiance(aux USA, en Inde) quand elle tente des acquisitions étrangères, du fait des liens forts de Ren avec l'Armée.
Fin 2011 Ren Zhengfei a annoncé qu’il mettait en place un système de présidence tournante de 6 mois composé de plusieurs CEO afin dit-il, d’éviter les factions et luttes de pouvoir. Derrière cette apparente "démocratisation" du leadership, se cache une habile stratégie. Le pouvoir n'est plus personalisé, certes, mais ne dit-on pas qu'il faut diviser pour mieux régner? Ren n'en demeure pas moins le vrai leader (en tant que premier actionnaire, qui a déjà réussi à placer sa fille au comité exécutif - quant à son fils, impossible d'avoir une information précise!) même s'il n'apparaît plus dans la lumière...
Han Fei Zi a dit: "le souverain ne prend pas part aux débats. Vide et calme, il ne fait rien mais s'accorde au Dao seul [..] Il ne dit aux autres ni ce qu'ils doivent faire ni comment le faire, mais les laisse accomplir les choses par eux-mêmes. De ses appartements fermés à clé, il contemple les jeux de la cour. Il établit les règles; ainsi chaque chose trouve sa place. L'être méritant reçoit sa récompense; le fautif reçoit un châtiment."
Pour autant, rappelle le maître légiste: "Si le souverain cède la plus petite parcelle de son pouvoir à d'autres, toute la hiérarchie est renversée." Et ce n'est certainement pas l'objectif du patron de Huawei qui a en tête la continuité de sa dynastie.