mercredi 28 août 2013

Comprendre la Chine - lectures d'été

A ceux qui cherchent à vraiment comprendre le système politique chinois, je recommande la lecture du dernier livre de Stéphanie Balme intitulé «La tentation de la Chine ». La chercheuse y analyse très brillamment les spécificités de ce régime autour de la notion d’hybridation.
Comme nous le soulignons constamment sur ce blog, la culture chinoise dans tous ses aspects, sociaux, managériaux, économiques, mélange et combine les contraires, c’est ce qui la rend si complexe à nos yeux d’Occidentaux binaires.
Pour saisir la particularité chinoise, il nous faut toujours faire la balance, le va-et-vient entre les oppositions qui n’en sont pas pour ces daoistes qui voient le monde en mode yinyang.

La politique = éduquer et nourrir la grande famille! Partant de nos idées reçues en brèche, la juriste rappelle que les concepts politiques chinois ne recouvrent pas la même réalité qu’en Occident. Ainsi « l’Empereur n’est pas tenu de légiférer mais d’enseigner le respect des rites », « son devoir moral est de "civiliser » et « nourrir » son peuple. De même, la notion de politique se dit 政治 zhengzhi soit la combinaison des deux caractères « signifiant rectifier, punir et guérir, sans la référence grecque à polis (la cité). » De même pour  国家guojia qui se traduit par  pays ou nation, « le terme chinois contemporain qui se rapproche le plus de « nation », guojia, reste formé de deux caractères qui signifient l’Etat (guo) et la famille (jia), sans référence à la notion de « peuple » comme en latin (natio). » Rappelons au passage que ces conceptions influencent fortement les pratiques managériales...
 
Communistes ET capitalistes! Les Occidentaux ont du mal à concevoir qu’un système communiste puisse se réformer sans s’effondrer. Or c’est le cas du PCC qui se déploie « dans tous les domaines sociaux et politiques », renforce la puissance de l’Etat et de la Chine tout en s’accommodant très bien du capitalisme. La crise de succession de Hu Jintao s’explique donc « par la revendication d’une gouvernance encore plus efficace et d’un pouvoir moins arbitraire. » et non par une contradiction idéologique entre communisme officiel et capitalisme sauvage, qui cohabitent très bien selon la "voie du milieu".
 Il y a une confusion entre le Parti et l’Etat nous dit S. Balme, ce qui contribue à brouiller notre cadre de référence. Certes le PCC a instauré un "Etat fort", mais ils n'est pas monolithique ni totalitaire. Il est traversé de courants, factions, luttes de pouvoir, coteries etc... qui rendent les successions difficiles. Cet Etat chinois doit constamment réagir aux impulsions de ce que nous appelons la "société civile" via notamment les internautes qui réclament des droits, mais aussi les associations de consommateurs, les victimes d'expropriations et d'empoisonnements etc ... Ces revendications sont parfois satisfaites et commencent à constituer un contre-pouvoir contre lequel l'Etat emploie de plus en plus de moyens pour garder son leadership.
Contrairement aux préjugés, le système juridique n'est pas complètement arbitraire. Depuis 1982, de très nombreuses lois ont été promulguées dans tous les domaines.  L'examen d'entrée dans la fonction juridique a été instauré en 2002, la professionnalisation est récente mais réelle. néanmoins, les juges restent totalement dépendants du pouvoir politique et de nombreux cas de corruption existent. Les juges n'ont pas la culture du respect de la procédure et "les jurys populaires sont un simulacre".
 L'Assemblée Nationale Populaire ne serait pas complètement fantoche, via le rôle subtil joué par ses commissions. Mais il n'y a pas de hiérarchie des normes: ainsi la Constitution n'est pas AU-DESSUS des autres lois et il n'y a pas de Conseil constitutionnel chargé de la faire respecter. Donc les normes, lois, décrets, règlements se chevauchent dans une grande confusion juridique.  

Réfutant l'idée que la corruption serait culturelle en Chine, S. Balme rappelle la distinction entre corruption et "les usages quotidiens, anciens et codifiés, de sociabilité que sont les relations de guanxi". Ainsi les cadeaux et dons ne sont pas toujours des pots-de-vin même lorsqu'ils "sous-tendent une demande de service voire une faveur".
Même sous Mao qui prétendait "les éradiquer car symbole de l'homme confucéen traditionnel", "les guanxi ont joué un rôle considérable."
 "Les réseaux de relations" se sont totalement recomposés autour du rôle croissant de l'argent, du désir de reconnaissance sociale et de pouvoir. Les guanxi sont devenus une institution ostentatoire et dispendieuse". L'auteure évoque le "capitalisme de copinage" (crony capitalism).
C'est aussi le thème favori des romans policier de Qiu Xiaolong, écrivain exilé aux Etats-Unis depuis 1989. Son dernier livre "Cyber China, une enquête de l'inspecteur Chen" (mal écrit d'un point de vue littéraire!) reprend les derniers scandales politico-financiers. Ce polar a le mérite de bien montrer le système de dette de face: ce sont les services rendus par l'inspecteur dans le passé qui lui permettent de se créer un réseau d'"amis" éternellement reconnaissants qui l'aident ensuite à résoudre ses enquêtes, mais aussi à faire entrer sa vieille maman dans le meilleur hôpital (et manifester ainsi sa piété filiale). Autrement, sans guanxi, même un policier n'est rien en Chine. Une belle preuve de la faiblesse du droit. Néanmoins le flic intègre est toujours déchiré entre le désir de faire justice et les pressions politico-administratives qui s'exercent sur lui, et la nécessité de maintenir l'harmonie de la société.
Bonne rentrée à tous!