dimanche 10 avril 2011

ce que j'ai compris de François Jullien

Vendredi 8 avril 2011 le François Jullien donnait une conférence à l'excellente librairie chinoise Le Phénix boulevard Sebastopol. La démarche de ce philosophe sinologue consiste à revisiter la pensée grecque (donc occidentale) à la lumière d'une pensée radicalement étrangère, la pensée "en chinois" et notamment la philosophie taoïste. J'avoue avoir beaucoup de mal à lire ses livres, à l'exception du Traité de l'efficacité et pour cause, c'est en fait le texte d'une conférence adressée à des managers d'entreprise. Il est donc bien plus facile d'accès que le reste de son oeuvre.

Vendredi dernier, son discours m'a semblé un peu plus clair, aussi je partage humblement avec vous quelques réflexions qu'il a fait résonner dans mon cerveau...

Ainsi F. Jullien a rappelé que les penseurs chinois ne sont pas posés les mêmes questions que les penseurs grecs ou allemands.

Selon lui, la philosophie occidentale a laissé de côté le "vivre", c'est à dire l'immédiat, l'indistinct pour s'interroger sur la "Vie" et notamment la définition du Bonheur, ce qui est bien différent. Par exemple, Platon cherche des essences, des Idées c'est à dire de concepts fixes, éternels. Pour Heidegger le verbe le plus important est "être".


Entre parenthèse, rappelons que ce verbe, si fondamental pour nous, ne se traduit qu'imparfaitement par 是 (shi) en chinois. Certains disent même qu'il n'existe pas en putonghua.

Cela me rappelle mon premier cours de philo en Terminale, et le professeur nos dictant cette question: "Pourquoi y-a-t-il l'étant plutôt que rien?" A l'inverse les taoïstes ne se posent absolument pas le Pourquoi de la création du monde, mais s'interrogent sur le Dao 道 c'est à dire le "fonctionnement du monde". Mais ils n'établissent pas de lois, ils observent que le changement est constant et que seul le contexte peut dicter la conduite adaptée. Notons que c'est bien le sens du yinyang que d'évoquer le passage d'un état à un autre (par exemple entre la fin de la pluie et le retour du soleil), c'est à dire la mutation. Avec comme conclusion qu'on ne peut jamais être sûr de rien...

Tandis que les philosophes européens se sont penchés sur ce qui est saisissable et clair, tournant le dos à l'incertitude, au flou, et à la coexistence des contradictions coexistent: une chose ne peut pas être à la fois vraie et fausse! Et pourtant... Sacrée Chine qui sans cesse challenge nos Vérités!

D'ailleurs François Jullien a commencé par expliquer que certains intellectuels français l'accusaient de ne pas prendre position contre le gouvernement chinois.

Cela m'a rappelé certaines de mes formations. Tandis que j'explicite la logique des comportements en rapport avec des valeurs-clés la société chinoise, il arrive qu'un participant s'écrie "Mais vous avez l'air de dire que tout est parfait en Chine! Vous oubliez la politique!"

Comme si essayer de comprendre la Chine, univers différent du notre, devait forcément déboucher sur un positionnement personnel, un jugement moral, une classification catégorique: c'est Bien OU c'est Mal.

François Jullien a d'ailleurs évoqué deux ornières: l'universalisme facile et le culturalisme paresseux. Le premier consiste à jauger la Chine avec nos propres valeurs et à coup sûr se priver de la comprendre. Le second renvoie au syndrôme TIC "That Is China" sous-entendu: ils sont bizarres, on n'y comprend rien mais il faut s'y faire.

Entre les deux, le sentier est bien étroit...