mercredi 2 novembre 2011

la piete filiale

L'agence de presse officielle Xinhua évoque, sur le mode du débat, une nouvelle un peu insolite au XXIe siècle:

"Le Comité spécial pour la piété filiale relevant de l'Association nationale de Chine pour les études éthiques a annoncé dimanche son intention de guider 1 million d'enfants âgés de 4 à 6 ans à mieux connaître la piété filiale, une valeur profondément ancrée dans la culture chinoise traditionnelle." Le contenu de ce programme de formation de 100 jours semble être d'inculquer aux petits Chinois du jardin d'enfant "la reconnaissance" et "le sentiment de responsabilité à l'égard des parents" au moyen d'histoires et de jeux.


La piété filiale par laquelle on traduit le caractère xiao 孝 est la base de la philosophie comportementale de KongZi dit Confucius, car elle est le modèle absolu de tous les comportements. Très explicite, ce caractère affirme une hiérarchie: le père 老 est au-dessus du fils 子. Et aussi l'idée d'un devoir absolu du fils qui est de porter son père quand celui-ci sera trop vieux pour subvenir à ses besoins.


La piété filiale est à la fois le sentiment respectueux et tendre pour ses parents et les sacrifices que l'on fait pour eux, mais aussi une vertu sociale et politique.


Le xiaojing 孝经, Classique de la piété filiale rédigé au IIIe siècle avant notre ère par le disciple ZengZi, que tout bon confucéen se devait d'étudier, s'ajoute aux 4 Livres et 5 Classiques sìshūwǔjīng 四书五经 indispensables à la carrière de tout fonctionnaire jusqu'en 1949.


On lit dans le xiaojing 孝经 : « Il existe trois mille crimes passibles de l'un ou l'autre des cinq genres de châtiments, et parmi ces crimes aucun n'est plus abominable que la désobéissance aux parents.»


Au fond pour les Chinois de l'ancien temps un manque de vertu n'a qu'une seule et même cause, le manque de xiao 孝.

Dans son "Moeurs curieuses des Chinois", publié en 1894, le sinologue Arthur Smith écrit: "Celui qui viole les droits de propriété de son prochain n'est déjà pas irréprochable dans sa conduite filiale. Un magistrat qui n'a pas le respect voulu pour la dignité de sa fonction manque également de piété filiale. Celui qui ne se montre pas loyal envers ses amis n'a pas de piété filiale. Celui qui est lâche dans la bataille manque de piété filiale. C'est ainsi que la doctrine de la conduite filiale envers les parents embrasse bien plus que de simples actes et qu'elle atteint jusqu'aux mobiles subconscients de l'être moral."


L'éduction chinoise opère donc un retour à la tradition millénaire, même si la piété filiale n'a jamais disparu en Chine, en dehors de la parenthèse de la Révolution Culturelle pendant laquelle les enfants étaient encouragés à se retourner violemment contre leurs aînés et professeurs.


Mais l'intention va plus loin que de rappeler aux enfants devenus adultes leur devoir d'entretenir financièrement leurs parents, obligation renforcée par l'abence d'Etat-Providence en Chine. Car KongZi fustigeait déjà cette vision étriquée qui consiste à croire que l'on est un bon fils si l'on se borne simplement à nourrir ses parents. Cela ne suffit pas! Ce n'est que le niveau 1 de la piété filiale. Le niveau 2 exige de réussir, de faire briller le nom de ses parents pour leur témoigner du respect, et donc leur donner de la face. Le niveau 3 est l'atteinte d'une perfection morale exemplaire.

Les Classiques chinois sont plein d'exemples de fils pieux qui se sacrifient ou commettent des délits voire des crimes pour complaire à leur parents. Parmi les critères de piété, citons: avoir une nombreuse progéniture mâle, dépenser beaucoup d'argents aux obsèques, porter le deuil longtemps (3 ans selon KongZi) ou encore explicitement préférer sa mère à sa femme et à ses propres enfants.

Selon A. Smith, cette doctrine "place la femme dans un état d'infériorité flagrante. Confucius n'a rien à dire sur les devoirs réciproques des époux. Le Christianisme demande à l'homme de quitter son père et sa mère pour s'attacher à sa femme. Le Confucianisme demande à l'homme de s'attacher à son père, à sa mère et d'imposer à son épouse la même obligation." Ah les belles-mères chinoises, c'est encore aujourd'hui un grand sujet de roman et de films!


L'enant unique n'a pas tellement changé ce fait, la piété filiale reste une clé de voûte de la société chinoise en tant que variation familiale de la gratitude obligtoire, ou dette de face.

« Les arbres sont plantés pour donner de l'ombre, les enfants sont élevés pour soutenir la vieillesse. [...] Chaque génération paie la dette de la génération précédente et, à son tour, elle demande à la suivante le paiement intégral", nous dit A. Smith, avec comme "conséquence la subordination, pendant leur vie entière, des jeunes aux gens âgés."


Aujourd'hui plus que jamais, la piété filiale est donc la condition d'une société harmonieuse, non-conflictuelle et donc de la stabilité du système. C'est là que cette nouvelle perd son côté anecdotique (sur la photo illustrant l'article on voit une toute petite fille aidant sa mère à se mettre du rouge à lèvres!) pour s'incrire dans un projet de bien plus grande ampleur....